Des communautés en transition à Pointe-aux-Trembles et Montréal-Est

Laurence Miall
8 min readMay 14, 2019

--

(Le Projet Impact Collectif est appuyé par une coalition qui regroupe environ 10 grandes fondations montréalaises. Dirigé par Centraide du Grand Montréal, le PIC a pour but d’améliorer la vie des Montréalaises et Montréalais, tout en collaborant sur une approche novatrice visant à réduire la pauvreté à grande échelle. La fondation McConnell a offert son soutien au PIC en 2015 par l’entremise d’une subvention qui s’harmonisait avec ses objectifs d’inclusion sociale et d’innovation sociale.)

Les Habitations Séguin, Pointe aux trembles. Photo: Myriam Bérubé, Centraide

En roulant sur l’autoroute Métropolitaine en compagnie de Denis et Myriam de Centraide, nous sommes à même de constater la trame narrative qui transforme la vie des communautés et des familles dans cette partie de l’île de Montréal. Le « centre‑ville » de Montréal‑Est, qui demeure une ville distincte par rapport à Montréal, est presque exclusivement industriel, certaines industries étant encore actives, d’autres étant abandonnées. Sur une période de 10 ans, qui s’est terminée en 2010 avec le départ de Shell, les raffineries de pétrole ont toutes fermé et les emplois ont disparu. On a estimé à l’époque des pertes directes et indirectes de 3 500 emplois. Et depuis 1960, la population de Montréal‑Est a chuté de presque 6 000 à 3 800 habitantes et habitants.

Notre visite commence à Pointe‑aux‑Trembles, au siège social de La Corporation Mainbourg, qui est entouré de logements pour environ 230 personnes. Parmi les nombreux avantages qu’offre le complexe récemment rénové, on trouve la centralisation de différents organismes qui offrent des services à la population locale, par exemple le YMCA, des services destinés aux jeunes et aux personnes immigrées ainsi que des activités récréatives.

Alors que nous montons à bord d’une fourgonnette pour commencer notre visite, nous constatons déjà que nos guides René, Véronique, Kémy et leurs collègues connaissent ce secteur de l’île de Montréal en détail : chacune de ses rues, chacun de ses bâtiments et presque tous ses habitantes et habitants. Le profil socio‑économique du quartier a été documenté et superposé sur les cartes qui nous ont été remises. Cela nous permet d’être renseignés sur les foyers de pauvreté, le taux relativement élevé de décrochage chez les jeunes, le ratio propriétaires-locataires, etc.

Un des avantages du PIC est qu’il est venu suppléer et amplifier des projets déjà en cours pour mieux comprendre et aborder les enjeux locaux. Le niveau de coordination entre les organismes communautaires de Pointe‑aux‑Trembles et à Montréal‑Est a considérablement augmenté en mettant en commun leurs ressources et expertise pour intervenir directement dans les plans HLM et les coopératives d’habitation. Les résidents et résidentes (en situation de pauvreté) ont maintenant accès à une programmation diversifiée et régulière dans leur milieu, établies à partir des besoins urgents qu’ils identifient eux-mêmes. À titre d’exemple : de l’aide aux devoir pour les enfants et les jeunes, des ateliers sur les compétences parentales, des services d’employabilité, cliniques d’impôts, ou encore des cuisines collectives ou groupes d’achat pour accroître la sécurité alimentaire.

Le PIC soutient une nouvelle fonction de coordination, liaison et soutien clinique qui couvre plusieurs milieux à la fois. Les intervenants terrain qui offrent du soutien psychosocial aux résidents et résidentes reçoivent ainsi eux aussi de l’aide pour bien accomplir leur travail. Par exemple, en participant à une communauté de pratique, ils partagent des outils et échangent sur les approches les plus efficaces. Leurs heures d’intervention ont également été augmentées pour permettre une plus grande stabilité du personnel, un élément essentiel pour bâtir et maintenir la confiance avec les gens en situation de vulnérabilité. Ainsi, plus de résidents et résidentes non seulement bénéficient de nouveaux services de proximité mais participent à améliorer les conditions de leur milieu de vie immédiat tout en développant un sentiment collectif croissant.

Une avancée significative est l’influence positive sur Montréal-Est. Dans le passé, Montréal‑Est ne reconnaissait même pas la pauvreté comme un problème. La Ville n’allouait pas non plus de ressources au développement social. Vu la proximité avec Pointe-aux-Trembles, qui possède une population beaucoup plus grande (50 000), les dirigeantes et dirigeants municipaux apprennent et partagent désormais aux côtés de leurs pairs, tout en s’attaquant à des problèmes courants.

Nous visitons Les habitations Séguin, un complexe résidentiel pour les familles et les personnes à faible revenu qui a été entièrement reconstruit en 2012 à cause de problèmes de moisissures importants. C’est un endroit propre, accueillant et chaleureux. La plupart des personnes qui y habitent bénéficient de subvention au logement, ce qui veut dire qu’elles ne déboursent pas plus de 25 % de leur revenu total en loyer. Notre groupe visite le petit centre communautaire qui offre des services, par exemple une cuisine collective, de l’aide aux devoirs et des activités de loisir à faible coût.

Montréal-Est. Photo: Myriam Bérubé, Centraide

Nous discutons de certains problèmes qui touchent les jeunes de la ville. L’impact des raffineries se fait sentir jusqu’ici, puisqu’un grand nombre de familles de Pointe‑aux‑Trembles et de Montréal‑Est n’ont pas priorisé l’éducation à l’époque où des emplois étaient disponibles pour les gens sans diplôme postsecondaire. Cette culture d’un niveau de scolarité peu élevé représente un gros défi. La négligence et le mauvais traitement des enfants sont des problèmes encore plus graves qui inquiètent beaucoup nos guides. Il faut du temps pour gagner la confiance des résidentes et résidents, mais sans cette confiance, les personnes qui offrent des services professionnels ne peuvent pas comprendre ce qui cloche et offrir de l’aide. Kémy explique que des liens sont habituellement d’abord établis par l’entremise des jeunes. Ses collègues et lui visitent les écoles de la ville à l’heure du dîner pour écouter des enfants parler de leurs préoccupations. Grâce à ces conversations, ils peuvent savoir si l’enfant est arrivé à l’école le matin le ventre vide ou s’il y a d’autres genres de problèmes à la maison. Les relations avec les enfants peuvent par la suite servir à bâtir des ponts avec les parents.

Notre prochain arrêt est la Coopérative d’habitation Le fleuve de l’espoir à Montréal‑Est. Le bâtiment a moins de 20 ans, mais affiche déjà de sérieux problèmes structurels : des fenêtres qui ne sont pas étanches, des appareils électroménagers brisés, etc. Alors que nous marchons dans la cour, une fillette âgée de pas plus de six ans entend notre conversation. Elle s’arrête et nous dit que le robinet dans son appartement est brisé et que sa mère essaie de limiter les dégâts à l’aide de serviette et d’un gros bol vert. René lui dit gentiment que le personnel de la Coopérative viendra régler le problème dès que possible.

En montant au troisième étage, la vue qui s’offre à nous est troublante. Ce secteur de Montréal-Est est un petit lot urbain d’habitations bordé par un immense désert industriel abandonné : des terrains contaminés, des voies ferrées qui n’accueillent plus de train et de nombreux monolithe de ciment, c’est‑à‑dire les raffineries aujourd’hui vides et silencieuses. On nous explique que nous sommes dans un désert alimentaire. Se rendre à un supermarché exige un long trajet en voiture. Même problème pour l’école : les enfants doivent faire un long trajet en autobus matin et soir. La Maison l’Échelon, qui est tout près, est un centre de jour pour les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale. Une grande partie de sa clientèle habite à la Coopérative.

Nous remontons dans la fourgonnette pour revenir vers Pointe-aux-Trembles. Nous pouvons voir des touches de beauté et de vitalité le long du chemin. Nous ne sommes jamais loin de l’eau dans cette ville, qu’il s’agisse du Saint-Laurent ou de la rivière des Prairies. Ce jour-là, un gros navire de charge rouge est amarré près de la berge du Saint-Laurent. Nous constatons les travaux de revitalisation qui ont été faits sur l’avenue Broadway et la rue Victoria, celles-ci ressemblant de plus en plus aux grandes artères du Plateau ou de Verdun. Nous passons devant un jardin communautaire où les membres ont noué une bonne relation avec l’Église vie d’espoir qui se trouve à proximité, en offrant leur récolte à la banque alimentaire de l’église et en donnant de la nourriture gratuite à toutes les personnes qui viennent faire du bénévolat. Véronique nous explique qu’il est indispensable de tout cultiver dans des contenants pour éviter que le sol ne contamine les aliments.

Durant la dernière demi-heure de notre visite, nous avons l’occasion de voir un projet peu coûteux, mais qui a un grand impact appelé Marche ta zone. Comme l’a souligné Metro Media, Marche ta zone a permis aux élèves de l’École François-La-Bernarde de se sentir plus en sécurité au moment de se rendre à l’école à pied, et ce, grâce à des flèches peintes dans les rues habituellement empruntées entre l’école et la maison. Lors de réunions organisées à l’école en 2014, des élèves ont dit être inquiets et inquiètes pour leur sécurité. C’est ce qui a mené à la création de Marche ta zone et des élèves ont participé au projet tout au long de sa réalisation. En effet, plus de 400 élèves ont collaboré avec un urbaniste de la firme Tandem RDP-PAT et le Service de police de la Ville de Montréal pour aménager les rues, qui sont ornées de couleurs et de motifs lumineux choisis par les élèves.

Nous sommes encouragés de voir que les médias montréalais reconnaissent la valeur des projets de ce genre. La voix de ceux et celles qui travaillent si fort dans cette partie de l’île pour améliorer la vie des enfants, des familles et des personnes âgées qui y habitent doit être entendue haut et fort. Celle-ci étant située à 45 minutes ou plus du centre‑ville et mal desservie par le transport en commun, il est même difficile de se déplacer au sein du quartier. Les distances semblent vastes, mais il s’agit d’une partie importante de l’île et peut-être la plus touchée par la grande transition que l’on observe partout en Occident : les emplois dans les usines et les raffineries se faisant de plus en plus rares et un nouvel avenir prenant forme. Le secteur social étant désormais bien présent à Pointe‑aux‑Trembles et à Montréal-Est, nous espérons que les récits racontés au sujet des enfants d’aujourd’hui, et de leurs enfants, seront marqués par l’espoir, le courage et la réalisation de leur plein potentiel.

Voici le groupe qui a fait la visite :

Myriam Bérubé, Centraide

Denis Sauvé, Centraide

Sophie de Caen, Fondation Pathy

Laurence Miall, Fondation McConnell

Voici les guides qui ont accompagné le groupe :

René Rivest, agent de développement

Véronique Colas, agente de développement

Kémy St-Éloy, coordinateur en milieu de vie

CDC de la Pointe

--

--

Laurence Miall

Author, Blind Spot, NeWest Press. Writer of fiction and non-fiction. Repped by Akin Akinwumi @AEAkinwumi